Editions de l’Ariane (2008) – Tita Reut a écrit les poèmes en s’inspirant des collages originaux de Rancillac, tous différents d’un livre à l’autre, signés par l’artiste sur 5 cahiers, et réalisés à partir de photogrammes et d’affichettes de films. François Huin a typographié les textes à la main, dont la couverture en 5 couleurs, sur les presses de la Saig, à L’Hay-les-Roses, sur papier BFK Rives 300g.
Les poèmes ont été typographiés en Garamond corps 12, sur papier Japon Atsukuchi 57g, et marouflés par René Boré, à Mantes la Jolie. L’emboîtage, signé par l’artiste, et réalisé par Marc Butti, à Nice, comporte un collage original en plexiglas. 21 exemplaires + 2 H.C. réservés aux collaborateurs, numérotés et signés au colophon par l’auteur et par l’artiste.
Nous sommes dans une caméra
qui diffracte
On voit l’image comme un bruit
mais dans un gabarit d’harmoniques
qui vont de Varèse à Berio
Se souvenant d’un tango d’hommes
dans un bordel
Tita Reut
Bernard RANCILLAC | Ciné Mots
Il n’est pas étonnant –ni même anodin- que celui qui peint « la pornographie censurée par l’érotisme » ait tiré le portrait d’écrivains-poètes tels que William Burroughs ou Allen Ginsberg. Quitte à introduire le « cut-up » dans son œuvre. « Le singe qui connaît l’algèbre » fusille l’espace du « Festin nu » et se loge dans les phantasmes sarcastiques de Bernard Rancillac : l’artiste-même qui moula ses gestes pour créer le confortable et surprenant « Fauteuil éléphant » en résine, et réinvente la peinture de genre à travers l’instantané redoutable. Car c’est bien d’une saisie de la durée qu’il s’agit. Comme si l’impeccable composition révélait l’implacabilité du temps, de sa bascule dramatique dans l’histoire privée. Et du conte coutumier à l’histoire « avec sa grande hache », comme disait Perec, la frange est minuscule.
Un cadre trop banal dérive soudain dans l’étrange. Le goût du mouvement surpris inquiète, et ainsi, cette affirmation intrusive d’une stabilité saturée et saturante se clarifie-t-elle dans le dévoilement politique d’un scandale qui est une affaire d’état. Avec le recul, dévoilement et dévoiement prennent tout leur sens : le politique d’hier devient l’historique d’aujourd’hui.
Car c’est bien de notre société dont Bernard Rancillac nourrit ses humeurs et sa peinture. La photographie qui projette ses ombres dans l’image peinte fait de nous, d’emblée, des spectateurs. Ses collages cinématographiques amplifient l’effet de renversement. Le film fait un arrêt sur image, renforçant le faux classicisme du temps qui suspend son vol…
Classique, Rancillac ?
Oui, si on rend à ce terme le sens de ce qui surmonte sa propre époque. « Je suis, dit-il pourtant, un peintre du XX° siècle ». Mais qui prend à bras le corps les icônes avant-gardistes impérissables, pour jouer tant de la douceur inquiétante et de la beauté ambivalente que de la fascination vénéneuse et métaphorique des fleurs pérennisées associées aux visages. Et les visages qui regardent nous engloutissent dans leur étrange et aspirante interrogation. Intranquille hommage…
Tita Reut